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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

Concert : Le Quatuor Ébène aux Bouffes du Nord, à Paris

Quatuor Ebene Julien Mignot

  • Ludwig van Beethoven : Quatuors N° 3 en ré majeur op. 18 N° 3 & N°9 en ut majeur op. 59 N°3 «Razumovsky»
  • Gabriel Fauré : Quatuor à cordes en mi mineur op. 121
  • Quatuor Ébène : Pierre Colombet, Gabriel Le Magadure, violons, Marie Chilemme, alto, Raphaël Merlin, violoncelle

    Théâtre des Bouffes du Nord
    Lundi 14 mai 2018
    www.bouffesdunord.com 

Dans le cadre du projet «La Belle Saison», réseau fédérant théâtres et salles de concerts qui par leur jauge adaptée et leur qualité acoustique, servent au mieux la musique de chambre, le Quatuor Ébène donnait un concert aux Bouffes du Nord. Pour un programme associant Beethoven et Fauré ; de quoi confirmer les talents d'une formation qui se hisse sans mal au plus haut niveau et pas seulement parmi ses confrères français. 

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Les Ébène ont depuis deux ans entrepris un long voyage en compagnie de Beethoven, consistant à jouer en concert et enregistrer l'intégrale de ses quatuors. Le présent récital associait les 3ème et 9ème quatuors. Le Quatuor op. 18 N° 3 est en fait le premier composé de l'ensemble de six de ce qu'on appelle la première période, écrits en 1799. L'influence de Mozart et de Haydn y est perceptible dans la forme qui montre un bel équilibre des voix, même si la partie de premier violon est prédominante et celle de violoncelle cantonnée au soutien de l'harmonie, du moins dans les trois premiers mouvements, car il gagne plus de liberté au finale. L'interprétation des Ébène est frappée au coin d'une belle lisibilité, traversée de bouffées de drame à l'Allegro initial comme au finale Presto. L'Andante, qui fait figure de centre névralgique de l'œuvre, est adorné ici de la mélodie doucement rêveuse du Ier violon de Pierre Colombet, auquel fait écho le contre-chant de l'alto et du violon II. L'allegro suivant, qui n'est autre qu'un menuet, possède un charme discret que la partie médiane en trio rehausse d'un trait d'esprit. Quant au Presto conclusif, il est empreint d'une belle joie de vivre sous les doigts des quatre musiciens.

Tout autre climat que celui du Quatuor op. 59 N° 3 ! On parlé à propos du dernier volet de la trilogie de cet opus de l'année 1808, de «quatuor héroïque», tant le souci de dramatisation de l'idée musicale hante Beethoven, notamment au niveau des développements. Les Ébène ne se le font pas dire. Car leur exécution sera placée sous le sceau de la tension et d'une irrépressible énergie de bout en bout. Après la fameuse introduction lente, l'Allegro vivace éclate avec force par le thème exposé au Ier violon. La puissance rythmique s'empare peu à peu du mouvement et singulièrement dans le développement. L'andante est très chantant, justement sans fausse sentimentalité. Au grand jour plutôt, à l'aune des pizzicatos bien sonores du violoncelle de Raphaël Merlin. L'étrangeté de ce mouvement ressort aussi des interventions de l'alto combien expressif de Marie Chilemme - nouvelle venue au sein de la formation - qui participe pour beaucoup du sentiment de résignation qui en émane. Le Menuetto, hommage aux devanciers Mozart et Haydn, possède une énergie et un charme qui le relient peut-être à un menuet français. Pris dans un tempo plus que soutenu, nettement prestissime avec même des accélérations, le finale déverse des torrents de vitalité. Dans ce geste volontariste, la fugue se déploie, haletante, traversée d'accords sforzando tels des coups de tonnerre. À un tel rythme, elle reste pourtant parfaitement articulée, grâce à la prodigieuse technique des musiciens qui ménagent les crescendos finaux dans un fougueux élan. La sonorité orchestrale qui en ressort ne manque pas de séduire à un tel niveau de maîtrise instrumentale. Et l'immédiateté sonore du lieu comme la proximité avec les interprètes produisent alors un étonnant sentiment de communion.

Entre les deux Beethoven, les Ébène avaient inséré le Quatuor de Fauré. Le compositeur aura attendu la fin de sa carrière créatrice pour aborder le genre du quatuor à cordes. Craignant de se mesurer à Beethoven... Le Quatuor op. 121 est sa dernière œuvre. Écrite en 1923/1924, elle sera créée à titre posthume l'année suivante. Œuvre d'aboutissement où l'art de la modulation, si chère à l'auteur, atteint son épitomé. Le Quatuor Ébène, qui avait inscrit cette pièce au programme de son premier disque sous étiquette Virgin et gagnait ainsi la consécration, en livre une exécution vibrante comme techniquement vertigineuse. Dans l'immense et intense digression que constitue l'Allegro moderato, où perce quelque mélancolie, ne serait-ce que par la place de choix réservée à l'alto, l'entrelacs des deux thèmes est ici savamment dosé. La méditation calme et sereine de l'Andante, initiée par le Ier violon, et où est évoqué fugacement le Requiem, exhale une douce expressivité au fil d'une inspiration mélodique sans fin. Le ton plus léger, presque dansant, du finale transcende le thème refrain d'allure populaire énoncé par le cello. Tout est dans cette exécution d'une rectitude instrumentale rare – ainsi des pizzicatos rageurs du cello ou de l'alto - et d'une justesse de ton magistrale. On se prend à savourer la singulière modernité de cette pièce.

Ovationnés après le «Razumovsky», les Ébène donneront en bis un «petit standard de Miles Davis», genre dans lequel nos quatre mousquetaires excellent. Il faut entendre, mais aussi voir, Colombet distiller les figures jazzy plus qu'enlevées, et Merlin jouer la basse et ses irrésistibles pizzicatos. Étourdissant !

Texte de Jean-Pierre Robert  

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