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  • Jean-Pierre Robert
  • Musique

Reprise de Mârouf à l'Opéra Comique, à Paris le 29 avril

Marouf OperaComique ouvrerture
©Vincent Pontet

Créé en 1914, à l'Opéra Comique, Mârouf, savetier du Caire, second ouvrage lyrique d'Henri Rabaud (1873-1949), y revient dans la production initiée en 2013 par le maître des lieux du moment, Jérôme Deschamps. Alors séduit par cette production, Marc Minkowski se promit de la donner à l'Opéra de Bordeaux dont il devait prendre les rênes, persuadé que « Mârouf est un chef-d'œuvre à restaurer », eu égard, entre autres, à « la luxuriance et la virtuosité de l'orchestration très gratifiante pour le plaisir mélodique qu'elle procure ». L'Opéra Comique monte ainsi à nouveau ce spectacle avec les forces bordelaises.

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Henri Rabaud : Mârouf, savetier du Caire.
Opéra-comique en cinq actes. Livret de Lucien Népoty.
Jean-Sébastien Bou, Vannina Santoni, Jean Teitgen, Franck Leguérinel, Lionel Peintre, Aurélia Legay, Luc Bertin-Hugault, Valerio Contaldo, Yu Shao, Jérémy Duffau, Sydney Fierro, Simon Solas, David Ortega.
Chœur de l'Opéra National de Bordeaux. Orchestre National de Bordeaux Aquitaine, dir. Marc Minkowski
Mise en scène : Jérôme Deschamps
Opéra Comique, dimanche 29 avril

Fruit de la vogue orientaliste des premières années du XX ème siècle et de la redécouverte des contes des Mille et Une Nuits, Mârouf renferme une mine d'inventions musicales et dramatiques. Le librettiste Lucien Népoty, fine plume, procure une trame originale où l'amusant le cède à l'insolite : un savetier qui végétant au Caire sous la férule d'une femme « calamiteuse », s'en va au loin rouler sa bosse en quête de jours meilleurs. Il trouvera au pays des Mille et Une Nuits un succès bien peu ordinaire, jusqu'à conquérir la fille du Sultan de céans qui lui ouvre aussi sa bourse et ses trésors, persuadée d'en être récompensée et de rentrer dans ses fonds grâce à l'or que le malin bonhomme assure renfermer dans les coffres d'une caravane devant débarquer instamment. Las, « la caravane, la caravane », elle n'est qu'un leurre. Encore qu'à en supputer si ardemment l'existence, cette arlésienne finira bien par devenir réalité, au final d'une intrigue bien ficelée. Là-dessus, Rabaud écrit une musique singulière, au demeurant ininterrompue, chose rare pour un opéra-comique. À la touche orientaliste fait écho un métier sûr qui s'affranchit de toute dette envers aussi bien Wagner que Debussy, dont la création récente de Pelléas et Mélisande est dans tous les esprits, et que notre compositeur admire tant. En cette période tendue d'avant-guerre, Rabaud doit la réussite au fait qu'on s'amuse à l'écoute d'une œuvre qui sonne si bien français, et surtout d'une musique qui « a une bonne saveur de fraîcheur et de simplicité », selon le mot de son confrère Florent Schmitt.

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©Vincent Pontet

La mise en scène de Jérôme Deschamps ouvre la boîte de Pandore du dépaysement et divertit par une approche en petites touches, plus malicieuses que franchement comiques, ne fardant pas ce qui ressortit à la naïveté des situations, à leur invraisemblance aussi : ces coups de bluff tirent leur justification de fantasmes et de rêves d'un Orient empli de surprises, aux saveurs d'un jeu bariolé et malin. La fuite en avant du savetier semble comme le dépasser dans sa désarmante innocence. Les tableaux léchés et nets se succèdent sans solution de continuité grâce à un décor modulable de cases, souvent plus petites que ne l'autorise leur destination première. Une décoration qui s'invente au fil de l'histoire, rehaussée de couleurs franches et d'éclairages habiles. Voilà un Orient réimaginé avec doigté, qui sait surprendre. Finement croqué encore par des costumes hauts en couleurs, à l'aune des personnages qui les portent, et en particulier des couvre-chefs signant leur manière d'être : ce pâtissier arborant toque rehaussée d'une grosse pomme rouge luisante, ce sultan plus vrai que nature, à l'immense chéchia blanche, son grand Vizir soi-disant perspicace, dont le chapeau est bardé d'un museau de renard, le Kâdi encore, portant toque ornée d'une balance en or... Le détail amusé se niche partout et jusque dans l'accoutrement hyperbolique des choristes, voire des animaux, immanquables attributs de l'attirail oriental : chevaux à la langue bien pendue, dromadaires géants à l'allure désopilante. Si Deschamps prend les choses à bras le corps, ses figures accusent un relief savoureux, mais non caricatural, entre rêve et réalisme, et le trait s'avère plus délié que souligné. 

Marouf OperaComique ouvrerture drVincent Pontet
©Vincent Pontet

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Marc Minkowski, visiblement en phase avec les mélismes de Rabaud, jauge l'architecture de cette musique avec un sens exact de ce qu'elle offre de diversité à la fois modale et rythmique. Et convoque élégance et limpidité. La suave mélodie sait céder la place à l'accent tranché, de la bastonnade par exemple, infligée au pauvre Mârouf sur dénonciation éhontée de l'épouse cairote. Comme à la bouffée de lyrisme d'un joli duo d'amour répond l'ostinato ornant les danses du IIIème acte, qui doivent quelque chose à l'orientalisme revisité par les russes. Sans parler du discret usage du Leitmotiv, plus dans la manière imaginée par Debussy que dans celle instaurée par Wagner. Le clin d'œil à ce dernier est cependant à peine dissimulé, comme au finale du dernier acte, d'une déclamation jubilatoire digne des Maîtres Chanteurs de Nuremberg. On savoure en particulier la palette des vents que Rabaud met en avant pour typer personnages et situations, aux cordes revenant la tâche de créer l'animation générale. La direction favorise cette déclamation lisible, qui restitue mille nuances dramatiques, et sait être fort énergique au point d'emplir démesurément, en première partie du moins, l'acoustique très présente du théâtre. La distribution brille par son homogénéité. Jean-Sébastien Bou, Mârouf, marche incontestablement sur les traces de Jean Périer, le créateur du rôle. Il possède ce timbre clair du baryton Martin et cette souplesse du débit, cet art du diseur, qui lui valent d'être aujourd'hui l'interprète de choix de ce rôle exigeant. L'expression est naturelle, dépourvue d'emphase. Et la performance, un brin physique, est tout autant magistrale. La troupe, fort bien distribuée, ne faiblit pas : Jean Teitgen, immense et cocasse Sultan, d'une incommensurable crédulité comme d'une basse bien sonore, Frank Leguérinel, mielleux Vizir, confident paré de vraies-fausses bonnes intentions, Lionel Peintre, adroit Ali, personnage clé, par qui la prospérité du savetier prend son essor. Vannina Santoni, de son soprano clair et de sa diction immaculée, est loin d'une fade Princesse Saamcheddine, nouvelle épouse qui faisant sienne la baliverne du savetier, permet à l'histoire de finalement rebondir. Les chœurs de l'Opéra de Bordeaux se tirent adroitement d'affaire. Tout cela porte la main de la réussite, saluée par un public plus qu'enthousiaste.  

Texte de Jean-Pierre Robert 



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