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Afro Souk Beat Machines #3 : plongée musicale avec James Stewart au cœur de l'Atlantique noir

James Stewart DJ Atlantique Noir

Pour sa troisième nuit d'afrovoyage musical, Soukmachines avait investi FGO Barbara le 22 avril pour une grande soirée sur trois niveaux avec des groupes comme Gallowstreet, l'Orchestre du Montplaisant, Batunga & The Subprimes, mais aussi des DJs comme Mawimbi, Nomad ou James Steward. Résident au Sucre, à la Marquise et au Syrius de Lyon, ce dernier anime chaque dimanche son émission sur RTU. Il est également percussioniste des groupes Kumbia Boruka, Mbongi YeTo et Sonido del Monte et diffuse toutes ses trouvailles musicales sur le blog Afro Soul Descarga.

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Nous avons rencontrer James Stewart juste avant son mix pour discuter un peu de l'Atlantique noir, un concept central permettant de réunir et de partager des styles musicaux très divers autour de l'Afrique occidentale et centrale, de la Caraïbe et des Amériques. De cette discussion à bâtons rompu, nous avons réuni, dans les lignes qui suivent, la substantifique moelle de son propos :

Parler d'Atlantique noir et non pas de « musique noire »

« J'ai découvert ce terme via le livre L'Atlantique noir de Paul Gilroy au début des années 2000, et cela a été pour moi une délivrance. À cette époque, je n'en pouvais plus de devoir travailler avec des termes qui ne veulent rien dire comme « musiques noires », « musiques africaines » ou « musiques afro-américaines ». Je trouve que le terme « musique noire » peut avoir une acception vraiment très limite, parce que très essentialiste. Ça me posait un problème, et je préférais le concept plus ouvert d' « Atlantique noir », ce que Gilroy appelle un chronotope, soit un espace géographique, politique, sociopolitique, socioculturel qui a produit à mon sens les contre-cultures les plus importantes du XX° siècle, qui pour certaines sont devenues partie des cultures dominantes. On en voit l'exemple à travers les manières de parler, les jeux de langage ou d'insultes comme les « dirty dozen » issues des cultures de ghetto aux Etats-Unis, étudiées par des linguistes comme William Labov dans les années 1930, puis passés aux émissions de télévision dans les années 1990 voire même ensuite parodiés à l'étranger.

Couverture Fela Lemi Ghariokwu
Couverture d'album de Fela Kuti par Lemi Ghariokwu

« Si tu veux comprendre l'immigration caribéenne des années 50 au Royaume Uni, il faut écouter le calypso »

Appliquer le concept d'Atlantique noir aux musiques sur lesquelles je travaille depuis mes 17 ou 18 ans m'a permis de mieux comprendre et mieux appréhender les fils conducteurs qu'il y a entre toutes les cultures des deux côtés de l'Atlantique. Cela m'a permis de sortir de la lecture socio-anthropologique développée entre autres par par Roger Bastide. Gilroy a fait un travail qui s'inscrit dans la continuité de tout ça et qui propose de nouveaux champs d’exploration. Mais étant lui-même issu d'une contre-culture, il ne cherche pas un objet de recherche, mais un nouveau concept pour penser son objet de recherche, un concept ouvert, perfectible. Ce concept, l'Atlantique noir est une nouvelle façon de penser les cultures, post-coloniales, le monde post-colonial. Gilroy explique que si l'on veut trouver des témoignages de l'évolution de la culture socio-politique de la communauté africaine-américaine aux Etats-Unis avant les années 50, il faut lire des poètes comme Lanston Hugues ou des écrivains comme Richard Wright, Leroy Jones disait la même chose à propos du blues. C’est cette démarche que j'essaye de développer dans mes mix, quand je fais le DJ, ou même à la radio. Si tu veux comprendre l'immigration caribéenne (jamaïcaine, trinidadienne… ndlr) au Royaume-Uni, il faut écouter le calypso, si tu veux comprendre la vision du néo-colonialisme par les Nigérians de la rue, il faut écouter Féla Kuti, regarder les dessins de Lemi Ghariokwu, etc. Depuis que j'ai découvert le concept de l'Atlantique Noir, qui a été pour mois une gigantesque bouée au milieu d'un océan de novlangue, j’essaie de le développer et de l’appliquer aux musiques de cet espace.

Bantous capitale rumba congolaise

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La rumba congolaise a fait le trajet inverse du commerce esclavagiste

Quand j'ai commencé la radio, j'ai fait équipe avec un mec génial (Michel Rabès) qui avait une énorme collection de vinyles, des cds de partout. Il avait énormément de Jazz et de 20 à 30 % c'était des musiques de l'Atlantique noir. J'écoutais tous ses 45t de mambo, tout ça. Son père était un ancien résistant, FTP en Corrèze, qui était au Parti Communiste. Il avait beaucoup de disques qui venaient de pays non-alignés, et notamment africains. A l’époque, le PC était connecté au label Le Chant du Monde (aujourd'hui dans le groupe Harmonia Mundi ndlr) et qui a produit beaucoup de disques passionnants. Michel m'a initié à tout ça, et ensuite j'ai fait mon chemin tout seul. Avant de faire ma thèse, j'ai fait un mémoire de maîtrise au titre très pompeux sur le contexte social, culturel et politique de l'émergence de la rumba congolaise. Cette musique a fait le trajet inverse de l'esclavage. Ce sont les marins cubains, pour beaucoup descendants d'esclaves bantous, yorubas et autres, qui prenaient les bateaux de la marine marchande. Ils s'arrêtaient à Pointe Noire, et faisaient écouter les premiers vinyles cubains, deux trois mambos contre un peu de vin de palme. Reconnaissant les rythmiques cubaines, elles-mêmes issues des musiques traditionnelles africaines yoruba et bantoue, les musiciens congolais écoutaient ces disques comme quelque chose de très familier, se disant que l'espagnol devait être un dialecte du nord, qui ne venait pas de très loin. Certains, comme l'orchestre Rock'A Mambo, fondé par des musiciens qui rejoindront l'OK Jazz de Franco ou les Bantous de la capitale, chantaient des paroles en espagnol phonétique.

Lord Macbeth the Great CalypsoAffiche pour un concert de calypso à New York, 1950

Des mix construits par un fil conducteur entre plusieurs cultures

Quand je fais une émission, un mix, le titre en est très souvent l'un des morceaux. J'ai généralement ce morceau dans la tête depuis une semaine, soit parce que je viens de le découvrir, soit parce que j'en ai une nouvelle lecture car j'ai lu un texte ou écouté un enregistrement en rapport avec lui. C'est rarement le morceau qui débute l'émission, parce que je développe, je crée une histoire autour de lui, avec une cohérence qui s'inscrit dans cette perspective de l'Atlantique noir. Par exemple, si je suis en train de kiffer sur « Buy me a zeppelin » de Macbeth the Great, un calypso, c'est trinidadien, je vais mettre un peu de mento avant parce que c'est la même version mais en Jamaïque, puis ensuite passer à Cuba à la même époque voir ce qu'il s'y passe et de là facilement à New York à Spanish Harlem, puis de New York passer chez les Chicanos de la cote Ouest comme Mandrill. J’essaie donc d’avoir une construction qui pour moi est cohérente. Cela sans avoir une lecture « fan » ou essentialiste de la musique et vouloir systématiquement relayer les discours qui étaient véhiculés à l'époque des enregistrements. Tu me parlais tout à l'heure de Fela Kuti, c'est quelqu'un de très ambigu, très ambivalent, qui prône une modernité politique, mais qui en même temps dans ses discours et ses morceaux défend une espèce de passéisme, par exemple vis à vis des femmes et de leur condition. On le voit dans « Lady » qui doit être un des morceaux les plus machistes jamais écrit, et qui a été d'ailleurs critiqué, notamment par des féministes nigérianes qui ont publié sur ces questions là. Des publications que j'ai pu lire, comme d'autres sur d'autres morceaux, pour essayer de garder une perspective lucide et surtout pas essentialiste de la musique.

mandrill

Des disquaires aux quatre coins du monde

J'ai ramené vraiment beaucoup de disques de mes voyages en Afrique, et je trouve aussi beaucoup d'enregistrements par mon réseau personnel, par exemple mon disquaire à Lyon, Sofa Records, spécialisé dans la musique africaine depuis des années, qui a aussi un site internet avec des disques super rares. J'ai aussi des amis au Benin, au Nigéria, au Mali qui m'envoient des disques de temps en temps. Et puis il y a les recherches perso, sur les blogs des uns et des autres : Awesome Tapes from Africa (spécialisé dans les cassettes de toutes les régions de l'Afrique depuis les années 1970 ndlr), World Service, tenu par un ancien de la radio hollandaise, qui est une véritable encyclopédie, Aduna, Oro ou encore Global Groovers, un des plus gros collectionneurs qui partage chaque jour des disques introuvables. Après il y a tous les labels comme Sofrito Records, Strut Records, Soundway Records, et même sur les trucs modernes comme Crammed, un label belge qui bosse sur la musique congolaise. Peu m'importe le support, je mixais même sur cassette au début où je faisais le DJ. »

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soundcloud.com/jimmmy-1
afrosouldescarga.blogspot.fr/



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