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  • Michel Bedin
  • Musique

Anthologie : Astor Piazzolla - Tanguisimo - Le Printemps d’une révolution

piazzolla-tanguisimoDurée : 10h 53’ 58’’
Le chant du Monde 574 2200.07
www.lechantdumonde.com (Harmonia Mundi)
Notre avis : etoile-orangeetoile-orangeetoile-orangeetoile-orangeetoile-orange(5/5)

Vaste entreprise que de tenter de reconstituer la discographie d’Astor Pantaleon Piazzolla dans ses débuts, de 1945 à 1961. Près de onze heures d’écoute. C’est ce qu’essaie de faire Le Chant du monde dans cet album de neuf CDs, sous le titre Le Printemps d’une révolution, même si le terme de « révolutionnaire » ne s’applique à Piazzolla, il faut le dire, que dans le domaine musical exclusivement. Deux cent seize titres, qui ne constituent pas une intégrale de la période, car certaines sources ont dû être écartées pour cause de trop faible qualité (collectionneurs, faites-vous connaître) ou sont encore inaccessibles, voire ont été détruites,  notamment sous la dictature militaire.

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Mais, telles qu’elles sont, réunies dans cet album prodigieux, ces musiques sont déjà la première pierre remarquable d’une future intégrale.

Le premier CD comporte vingt-quatre titres où Piazzolla dirige l’orchestre du chanteur Francesco Fiorentino (quatre bandos, dont le sien, quatre violons, un piano (Carlos Figari) un violoncelle, une contrebasse). Tangos classiques, valses également (« Rosa de otoño », « El Trovero ») et déjà, des arrangements du maître, qui décoiffent un peu, mais restent dans la ligne classique de la Guarda Vieja.

Sur le deuxième, on trouve, toujours provenant de 78 tours très bien numérisés, des airs joués par Astor Piazzolla et son orchestre typique, comme on disait alors. Un orchestre avec, cette fois, sept bandonéons, trois violoncelles et deux chanteurs (dont Aldo Campoamor) ainsi que les immuables quatre violons, le piano et la contrebasse. La moitié des titres sont de purs instrumentaux, les autres sont chantés. Toujours cette belle mise en place digne d’Anibal Troilo et cette façon de chanter avec des accents mélodramatiques goûtés par les amateurs d’opéras italiens que sont les Argentins et héritée de Carlos Gardel. Et puis, çà et là, quelques petites innovations, le tango nuevo est en marche.

Le CD 3 continue tout d’abord la séquence précédente sur six plages, trois instrumentales et trois chantées par Aldo Campoamor ou Alberto Fontan Luna. Puis, arrive un nouvel orchestre typique, bien modifié par Astor Piazzolla, qui, manifestement, cherche à sortir du cadre instauré par les gardiens du temple. C’est le CD du tournant. Avec quatre bandonéons au lieu de sept, trois violons, le quatrième étant remplacé par un alto, un seul violoncelle, mais deux pianos (Carlos Figari et Juan José Paz) et puis, Roberto Di Filippo qui jouait du bando s’est mis au hautbois, ce qui change considérablement la sonorité de l’orchestre. D’autant que les deux chanteurs sont remplacés par la chanteuse Maria de la Fuente, sur huit titres, séparés par quatre instrumentaux purs. Manifestement, Piazzolla a dans l’esprit de créer un tango qu’on écoute et il y réussit. Le tango se « symphonise », même « La Cumparsita ». Le séjour à Paris va être décisif. Par ses rencontres. Celle de Nadia Boulanger dont il se vantait tant, elle qui lui a surtout conseillé de ne pas abandonner le bandonéon ni les racines argentines. Celle de Lalo Schiffrin, jazzman et compositeur élève de Messiaen et de Koechlin et grand auteur de musiques de films. Celle enfin de ce pince-sans-rire de jazzman d’avant-garde de Martial Solal. C’est avec ces deux derniers que se termine le CD 3. Avec un second bandonéoniste, Astor Piazzolla y joue d’abord quatre compositions avec au piano Lalo Schiffrin, puis quatre autres avec Martial Solal. Et sur les huit plages, ils sont accompagnés par les musiciens de l’orchestre de l’Opéra de Paris, une harpe, une contrebasse, huit violons, deux altos et deux violoncelles, de quoi y aller à fond dans le tango-violonade. Manifestement, Piazzolla se cherche.

Le quatrième CD commence avec la fin des enregistrements parisiens avec le fantasque Martial Solal, deux bandos et l’orchestre de cordes dont rêvait Piazzolla. Dans sa soif de notoriété et de changement, comme il hésite entre la musique symphonique et le jazz, il prend les deux. Huit titres donc d’un LP intitulé Simphonia de Tango. Puis il revient en Argentine, et là, il monte un orchestre de tango, très différent des orchestres qu’on entend habituellement. Son Octeto Buenos Aires, deux bandos, deux violons, un violoncelle, une contrebasse, un piano et, nouveautés, une guitare électrique. C’est Horacio Malcivino qui est à cet endroit qui va cristalliser les critiques des ayatollahs du tango. Un guitariste dans le style de Joe Pass, voire de Sacha Distel (le jazzman), avec un jeu très coulé, très élégant, sans épate. Deux 25cm, Tango Progresivo et Tango Moderno qui annoncent la couleur, avec des titres explicites, « Lo que vendra », « La Revancha », « Neotango » ou « Tangology » qui rappelle « Djangology » ou l’«Ornithology » de Parker. Avec ses changements de rythmes, de sonorités, le tango nuevo est en marche.

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Le CD 5 commence d’abord avec quatre titres de Piazzolla avec son octette Buenos Aires, dans lesquels on sent la volonté provocatrice du bandonéoniste de décoiffer le vieux tango. Puis, retour à un quintette bando-vln-p-cello-b, avec un orchestre à cordes, sur des instrumentaux indansables, mais fort expressifs. Seuls trois sont chantés, et très bien, par Jorge Sobral. Le tango de concert tient désormais le haut du pavé.

Le sixième CD commence avec les dix titres du LP Tango en Hi-Fi où Astor joue avec son fameux quintette et son orchestre à cordes (deux airs chantés par Jorge Sobral). Puis, changement de décor, il part à New York et là, il joue avec d’authentiques jazzmen. Tout d’abord, sur un document exceptionnel où on l’entend notamment avec Machito, le fabuleux percussionniste-vibraphoniste, créateur du latin jazz avec son oncle Mario Bauza et qui a enregistré avec Charlie Parker. Et qui enregistrera, mais il ne le sait pas encore, avec Dizzy Gillespie. Puis viennent douze titres, instrumentaux, bien sûr, venant d’un vinyle intitulé Take Me Dancing. Des airs de jazz, piazzollisés, (« Laura », « April in Paris », Lullaby of Birdland » ou « Sophisticated Lady »), ainsi que des compositions.

Sur le CD 7, on a d’abord le vinyle Evening in Buenos Aires, enregistré à New York avec des musiciens de studio comme Pete Terrace (vib) ou Al Caiola (g), de chez Tico Records. Ce disque à destination du public américain est davantage axé sur le répertoire argentin, avec des tangos inusables (« Adios Muchachos », « El Choclo », « A Media Luz ») ou écrits par Carlos Gardel (« El Dia que me quieras » et « Sus Ojos se cerraron »). Alimentaire, mon cher Watson ? C’est bien possible, Les musiciens n’ont pas été identifiés et ça vaut mieux pour eux, il aurait pu y avoir des représailles à cause des versions calamiteuses, avec chœur de pucelles et saccharose à trop forte dose, « d’A Media luz » ou de « El Dia que me quieras », car les Argentins sont vindicatifs. De retour en Argentine en 1960, où le goût du public est moins hollywoodien, Astor Piazzolla reprend son quintette avec le guitariste électrique Horacio Malvicino et ce sont quatorze titres où on le retrouve jouant du tango instrumental, avec beaucoup d’innovations, mélodiques et rythmiques, dont « Nonino », Adios Nonino », « Decarisimo », « Tanguisimo ». Du grand Piazzolla.

Presque rien de changé sur le CD 8 dans le quintette, si ce n’est le guitariste remplacé par Oscar Lopez Ruiz, puis, après six instrumentaux, l’ajout d’une chanteuse, Nelly Vasquez. Ensuite deux instrumentaux, puis changement de chanteurs : arrivée de Daniel Riolobos sur deux titres. Remplacement par Hector de Rosas, sur six titres dont deux proviennent de collections privées. Le CD finit d’ailleurs avec des raretés du même genre. En bonus tracks, deux superbes enregistrements d’Astor Piazzolla et de son quintette, avec Lopez Ruiz sur « Triunfal » et sur « Nonino » provenant d’une collection privée. Puis, en documents, deux autres extraits de la bande originale du film « Marta Ferrari », de Julio Saraceni dans lequel chante Fanny Navarro.

Le CD 9 est considéré comme un bonus album. Il contient des enregistrements faits à New York, dans l’esthétique américaine des directeurs des majors companies. D’abord, deux tangos, chantés l’un en anglais, l’autre en espagnol et anglais par Fernando Lamas. Astor est accompagné par des musiciens non identifiés. Suivent douze airs, chantés par José Duval, puis douze encore par les trois sœurs Di Mara, des musiciens anonymes, une direction et des arrangements d’Astor Piazzolla Le résultat, personnellement, me fait rire aux larmes (je vous conseille le « Vieni Vieni » ou le « Roman Guitar » qui a fauché son intro aux « Yeux Noirs »), mais cela peut en consterner d’autres. Cela prouve, en tout état de cause, que la vie d’artiste n’est pas un chemin pavé de roses et qu’il faut bien manger. Le 27ème titre, qui clôt l’album, voit une piste enregistrée avec Machito (cf. CD 6) sur un standard de jazz d’Irving Berlin, « How Deep Is the Ocean » très grandiloquent.

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Au total, cet album est un Everest dans lequel on voit poindre, naître, et se développer une esthétique, le tango nuevo, qui nous ravit. On la voit s’élaborer sous nos oreilles, on devine dans tel morceau un phrasé qu’on retrouvera plus tard se déployant dans un morceau célèbre, on voit une musique en train de se faire. C’est fascinant. 



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